Conclusion

Carole Blondel, Catherine Brissaud et Fanny Rinck

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Carole Blondel, Catherine Brissaud et Fanny Rinck, « Conclusion », Langues et recherche [En ligne], mis en ligne le 15 novembre 2023, consulté le 02 novembre 2024. URL : https://www.languesetrecherche.fr/131

Notre analyse du score orthographique sur les mots et du score phonographique sur les pseudo-mots obtenu par les deux populations enquêtées est révélatrice d’une réalité multiforme des compétences lorsqu’il s’agit d’orthographe, y compris chez les publics repérés en difficulté avec l’écrit. Nous avons montré la nécessité de proposer un test d’écriture révisé si l’on souhaite évaluer les compétences à l’écrit, les pré-tests en réception (lecture et compréhension) proposés par l’INSEE dans l’enquête IVQ s’étant révélés insuffisants. En effet, 33 % des enquêtés repérés en difficulté avec l’écrit ont obtenu un bon score de réussite à la dictée (plus de 80 %) et ont ainsi un profil orthographique identique à 88 % des enquêtés « haut ». Inversement, 12 % des enquêtés « haut » ont obtenu moins de 80 % de réussite à l’exercice et montrent des fragilités en orthographe. Etre moins bon que les autres en lecture ou en compréhension ne signifie donc pas nécessairement ne pas maitriser l’orthographe, et pour tester cette compétence, le choix des items, nous l’avons vu, est primordial.

Nous avons constaté que le lexique qui pose problème aux personnes les plus en difficulté avec l’écrit (mots peu fréquents ou aux correspondances phonie-graphie irrégulières), pose également problème à ceux qui sont plus à l’aise, même si les proportions d’erreurs sont bien inférieures pour ces derniers : solennel par exemple, a posé problème à 84 % des enquêtés « bas » et à 50 % des enquêtés « haut ». Tester les compétences orthographiques à partir de mots particulièrement rares ou irréguliers ne produit pas d’opposition nette entre deux groupes et ne permet donc pas de déceler des difficultés d’ordre lexical. Les mots rares ou irréguliers révèlent davantage la complexité de la question des compétences orthographiques et du rapport particulier que chaque individu entretient avec la norme.

La morphologie en revanche apparait comme un marqueur important de disparités dans les compétences à l’écrit. Dans notre corpus, la différence de compétences sur les deux accords en nombre de la première partie de la dictée (fromages et sentent) est particulièrement discriminante parmi les enquêtés du module « bas » mais très peu chez les enquêtés « haut ». En revanche, l’analyse de la morphologie des items concernant le rayon « bricolage » fait apparaitre des disparités, y compris chez ces derniers. Il semble donc nécessaire de tester les compétences en morphosyntaxe des enquêtés dans différents contextes, tel que le propose la deuxième partie de la dictée avec l’accord en nombre proposé dans des structures syntaxiques simples (ex. deux produits, quatre paquets, les clous) et plus complexes (ex. quatre paquets de vis plates, une boite d’allumettes), avec présence ou non d’un signal pour induire les marques de nombre. L’enquête de Lucci et Millet (1994) sur les usages orthographiques des scripteurs ordinaires avait également conclu à une concentration des difficultés dans certaines zones du système, notamment sur la morphologie, et cela quel que soit le niveau scolaire des personnes interrogées.

Dans le cadre de la révision de cette dictée, d’autres difficultés pourraient être testées : accord en genre et nombre de l’adjectif, ­­infinitif vs participe passé (ex. si la boulangerie est fermée, passer au supermarché), quelques « homophones » (ou logogrammes) parmi ceux qui sont socialement valorisés (ex. et vs est, a vs à), sans pour autant investiguer des zones de grande fragilité où la variabilité est très importante (conjugaisons irrégulières, accord complexe du participe passé).

Le choix des pseudo-mots ainsi que celui de leur place dans la dictée est également une question importante. Par exemple, la dernière phrase de la dictée du module bas cumule les difficultés, avec deux mots rares et deux pseudo-mots dont l’un joc est peut-être trop proche du prénom jacques, que nous retrouvons dans les réponses (jacques, jack). Nous avons également constaté, grâce aux enregistrements de l’enquête complémentaire, que la prononciation inhérente aux enquêteurs pouvait impacter la réussite. Ce phénomène est probablement présent sur les mots peu fréquents également, comme solennel (/solønɛl/ vs /solanɛl/) et sur ceux dont la prononciation est proche d’autres items plausibles (ex. trois fromages qui ne sentent pas fort : /sãt/ vs /sõ/). Si l’on souhaite évaluer les compétences orthographiques et phonographiques à partir de l’oral, ce paramètre est à considérer : une dictée sous forme enregistrée et proposée dans de bonnes conditions d’audition (bruits extérieurs, voix, etc.) permettrait de limiter ce biais. Par ailleurs, les pseudo-mots, ayant entrainé des scores de réussite relativement importants y compris chez les enquêtés « bas », s’avèrent peu discriminants. On peut dès lors se questionner sur leur intérêt pour évaluer les compétences en phonographie. Les difficultés dans ce domaine ont en effet été révélées dans la graphie des mots, ce qui permet d’identifier les enquêtés qui ont des difficultés dans ce domaine, au-delà du respect de la norme orthographique (ex. rhume : *rime, *rune, *rom). En revanche, la polygraphie observée lorsque le principe phonographique est respecté, permet de rendre compte des représentations des scripteurs en matière d’orthographe, lorsqu’ils ont le choix : application d’une morphographie minimale et d’une orthographe épurée pour que la graphie remplisse une fonction de communication ou prise en compte de régularités du français (ex. ajout d’un « e » final muet ou d’un morphogramme lexical, marque de famille ou d’affixe).

Reste la question de la frontière entre « avoir « ou « ne pas avoir » de difficultés en orthographe. Il apparait déjà que « ne pas avoir » de difficultés en orthographe ne signifie pas nécessairement être infaillible en morphosyntaxe et en orthographe lexicale. Si tel était le cas, seuls 10 % des enquêtés « haut » dans notre corpus seraient de bons scripteurs. Par ailleurs, chez les enquêtés qui ont obtenu les meilleurs scores (avec deux erreurs maximum sur l’intégralité de la dictée), on observe une proportion similaire d’erreurs lexicales et d’erreurs en morphologie.

L’analyse des discours recueillis dans le projet complémentaire croisé avec les productions, nous montre également la nécessité de recueillir les discours des personnes interrogées à l’écrit car les capacités d’écriture et les compétences orthographiques s’évaluent aussi à partir du rapport à l’écrit et à l’orthographe des scripteurs « […] aussi longtemps que les mentalités continueront de surinvestir de valeurs culturelles et identitaires une orthographe ‘monstrueuse’, il sera impossible de doter les citoyens d’un niveau d’expression graphique à la mesure d’une société moderne. » (Jaffré, 2005 : 3). La question des représentations est ainsi un élément important pour établir chaque profil de scripteur, au-delà de la connaissance du système orthographique, notamment si l’on souhaite améliorer les compétences à l’écrit d’adultes en formation.

Carole Blondel

Université Grenoble Alpes, LIDILEM, F-38000 Grenoble, France

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