Nous avons évalué la compétence en morphologie des enquêtés « haut » à partir des 11 marques de nombre présentes dans l’intégralité de la dictée, avec l’accord de 6 noms : fromages – produits – paquets – allumettes – clous – mètres, de 2 verbes : sentent – dégraissent, du déterminant quelques et de 2 adjectifs : parfumés – plates. Nous avons également regardé si les enquêtés ont respecté l’absence de marque de nombre pour trois mots (l’adverbe fort et les noms : ciseau – tuyau).
Résultats obtenus par les enquêtés « haut » et « bas » en morphologie
Dans la figure 7, nous comparons le pourcentage de réussite sur la marque de nombre de fromages, sentent et l’absence de marque sur fort (présents dans la partie commune de la dictée pour les deux corpus) avec celui obtenu par les enquêtés du module « bas ». Les taux de réussite (accord en nombre ou absence de marque sur fort) ne concernent que la morphologie et les mots sont classés par ordre de réussite.
Si l’on compare les performances en morphologie des deux populations sur les trois seuls items qui permettent cette comparaison, on remarque que c’est sur l’adverbe fort que les résultats sont les plus proches (91 % pour les « haut » vs 92 % pour les « bas »). Pour les enquêtés « bas », il semble donc plus facile de produire une forme non marquée, la marque de nombre sur le nom et le verbe ayant été plutôt mal restituée. Concernant les deux autres items (l’accord en nombre du nom fromages et du verbe sentent), la différence de performances entre les deux populations est au contraire très nette, notamment sur l’accord du verbe, avec 45 points d’écart entre les enquêtés « haut » (89 % de réussite) et les enquêtés « bas » (44 % de réussite) mais aussi sur celui du nom fromages avec 36 points de différence (93 % vs 57 %). Ces résultats ne permettent pas néanmoins de déterminer les compétences en morphologie pour les enquêtés « bas » qui ont obtenu, comme les enquêtés « haut », de très bons résultats à la dictée IVQ (plus de 80 % de réussite). Ceux-ci (33 % des enquêtés « bas ») ont en effet très bien réussi la morphographie de la dictée, en obtenant 89 % de réussite sur fromages, 95 % de réussite sur sentent et 89 % de réussite sur fort. Si la présence de la marque de pluriel sur le nom fromages et sur le verbe sentent semble être un bon indicateur pour distinguer les personnes qui ont de grandes difficultés en orthographe des autres, ils ne suffisent pas, en revanche, pour cerner les compétences en morphologie des personnes qui ont obtenu de bons résultats à la dictée. Quant à fort, pour lequel un taux de réussite élevé a été constaté, c’est l’absence de marque qui correspond à une réussite mais nous ne pouvons déterminer si celles et ceux qui ont réussi ont eu conscience de ne pas devoir marquer le nombre sur fort, ici adverbe. Cet exemple pourrait constituer un indicateur de compétence s’il pouvait être comparé avec l’accord en nombre de l’item utilisé comme adjectif (ex. trois fromages qui ne sentent pas fort vs trois fromages forts).
Chez les enquêtés « haut », on observe une bonne restitution des marques de nombre dans les constructions simples (avec présence d’un déterminant : les clous, quatre paquets, etc.), mais les résultats baissent lorsqu’il s’agit de tournures complexes où aucun signal ne vient aider au marquage du pluriel : par exemple, le « s » de allumettes dans « une boite d’allumettes » a été produit par seulement 77 % des enquêtés « haut ». Pour Lucci et Millet (1994), ce type d’omission pourrait aussi s’expliquer par la redondance des marques de pluriel à l’écrit qui pousse les scripteurs à négliger les règles d’accord, l’idée de pluralité étant déjà exprimée dans « une boite d’». Cette hypothèse peut être formulée aussi pour expliquer l’absence de marques de nombre sur arbres dans la Gaule était couverte d’arbres dans une épreuve de dictée réalisée par des élèves de 3e : alors que 96 marques de pluriel sur 98 sont présentes sur arbres dans des arbres sont replantés, on en comptabilise seulement 60 sur 98 dans la Gaule était couverte d’arbres (Brissaud, 2015). L’idée de pluralité exprimée dans « couverte », ainsi que l’absence d’un déterminant qui fonctionnerait comme un signal du pluriel devant arbres, paraissent ainsi entraver le marquage du nombre. Par ailleurs, l’absence d’accord pour tuyau dans « quelques mètres de tuyau » a posé problème à 24 % des enquêtés « haut » qui ont produit tuyau au pluriel en raison peut-être du déterminant quelques dans quelques mètres. Le contexte syntaxique semble donc déterminer la réussite lorsqu’il s’agit de produire des accords en nombre non seulement en fin de scolarité obligatoire mais aussi chez les adultes.
En somme, si la morphographie du pluriel semble être un problème pour près de la moitié des enquêtés » bas », on observe que les compétences des enquêtés « haut » dans ce domaine se distinguent surtout lorsque le marquage du nombre n’est pas facilité par un signal clair. Pour mettre en relief ce phénomène, nous avons établi des profils en morphologie des enquêtés « haut ».
Profil morphographique des enquêtés du module haut
Nous présentons dans la figure 8 le profil morphologique des enquêtés « haut » calculé à partir de leur réussite sur les 11 marques de nombre et les 3 marques du singulier présentées dans la figure 7.
Les 11 marques de nombre et les 3 marques de singulier ne sont restituées que par moins de la moitié des enquêtés « haut » (47 %). Une grande majorité (76 %) obtient néanmoins plus de 80 % de réussite sur la morphologie, en produisant plus de 10 marques sur les 14 attendues. La morphologie a posé problème à 24 % des enquêtés « haut » et particulièrement à 8 % d’entre eux, qui ont réussi moins de 7 marques sur les 14. A titre d’exemple, nous présentons les erreurs relevées chez un scripteur qui a obtenu un score de 4 sur 14 en morphologie : 3 *fromage qui ne *sente pas fort – 2 *produit *parfumer qui *dégraisse bien – 4 paquets de vis *plate – un *ciseaux – une boite *d’allumette – *quelque mètres de *tuyaux d’arrosage. Ici, le scripteur n’a réussi que des accords en nombre sur des noms : quatre paquets – les clous – *quelque mètres et a respecté l’absence d’accord sur l’adverbe fort.
Les compétences de cet enquêté en morphologie paraissent fragiles : aucun accord réussi sur les verbes, les adjectifs et le déterminant. En orthographe lexicale, la plupart des difficultés a au contraire été surmontée. Les erreurs portent sur les finales muettes de *rhum et *pay, le graphème « ai » dans *librerie et le mot *solannelle, particulièrement mal restitué dans les deux corpus, encore que la phonographie soit ici respectée. Nous relevons également des erreurs phonographiques sur trois des six pseudo-mots (*ciraque, *cobar, *evanord).
La morphologie flexionnelle du nombre a donc posé problème aux deux populations : ce phénomène s’observe surtout chez les enquêtés « bas », mais il est également présent chez les autres enquêtés, particulièrement lorsqu’ils sont en présence de structures syntaxiques complexes où les marques peuvent passer pour redondantes (ex. quatre paquets de vis plates, une boite d’allumettes). La maitrise de cette compétence fonctionne ainsi comme une ligne de partage, d’une part entre les enquêtés « bas » et les enquêtés « haut », d’autre part au sein des enquêtés « haut ». Ces résultats montrent que la morphologie reste une zone de fragilité en orthographe, même chez les meilleurs scripteurs.