En partant de cette définition assez large, les trois ateliers organisés ont permis de porter un regard « nouveau » sur la relation entre technologies et langue. De manière schématique, les trois clefs d’entrée utilisées forment un triangle d’analyse productif. Les trois sommets de ce triangle sont les notions de langue, de technique et d’usage. D’atelier en atelier nous avons déplacé le curseur d’une notion à une autre pour faire émerger des éléments de réflexion différents et complémentaires.
Ainsi le premier atelier a privilégié la clef langue en étudiant l’évolution actuelle des métiers de la langue tels que la traduction, l’interprétariat et la traduction audiovisuelle. Le deuxième atelier a permis un déplacement vers la clef usages puisqu’il y a été principalement question des nouvelles pratiques du français dans le contexte du Web Social. Enfin les discussions du dernier atelier sur l’impact des technologies du Web Sémantique sur les ressources terminologiques ont permis d’actionner la clef technique.
Ci-dessous nous donnons atelier par atelier les principaux éléments de réflexion qui se sont révélés.
Atelier n. 1
Thème de la journée : « Evolution des métiers de la langue : enjeux culturels et économiques ». Lors du débat de nombreux éléments de réflexion se sont dégagés. Les principaux peuvent être synthétisés comme suit.
Le contexte
Les technologies de la langue ont modifié de façon significative la manière de travailler des professionnels, qui ont désormais besoin d’acquérir de plus en plus de connaissances techniques pour être compétitifs sur le marché. Les professions elles-mêmes changent et se confondent : autrefois, les métiers d’interprétariat et de traduction étaient bien distincts, alors qu’aujourd’hui, les jeunes générations travaillent souvent dans les deux domaines alternativement. La collaboration en ligne est de plus en plus utilisée dans le domaine de la traduction professionnelle et l’interprétariat passe désormais par la vidéo- et la télé-conférence4.
Par ailleurs, c’est toute la société qui est touchée par ces transformations. La disponibilité des nouvelles technologies, parfois sous forme gratuite, permet à tout internaute de traduire et sous-titrer : le phénomène des séries TV sous-titrées par des amateurs (fansubbing) est bien connu, mais il existe d’autres tendances qui se répandent, comme le sous-titrage en temps réel des matchs de football par télétexte5 ou la traduction automatique proposée par les plus importants moteurs de recherche sur internet6. Les technologies ont fait naître la conviction que la communication n’a plus besoin d’intermédiaire professionnel et que l’accès aux logiciels de traduction automatique est suffisant pour maîtriser toute langue étrangère. La langue française elle-même se transforme à travers ces nouveaux usages et les pratiques d’expression qui y sont associées.7
Les défis
Dans ce contexte les principaux défis identifiés concernent les questions de la qualité, du multilinguisme et du changement des métiers et de leur évolution au service de la création culturelle.
La qualité de la traduction
Il s’agit d’une question centrale. Premièrement, la définition même pose problème : quels sont les indicateurs pour mesurer la qualité ? Quels sont les organismes qui devraient prendre en charge la mesure de la qualité ? Actuellement, aucune mesure ne s’impose.
En deuxième lieu, il faut se poser la question des contraintes auxquelles toute recherche de « qualité » doit faire face. Dans le domaine de la traduction (y compris la traduction audiovisuelle), les contraintes sont liées à l’équation « délais/volumes/prix » : des volumes de plus en plus importants de contenus à traduire, dans des délais de plus en plus serrés et pour des prix en baisse8. Qu’est-on prêt à sacrifier pour obtenir une traduction de qualité ? Aujourd’hui les professionnels remarquent l’avancée d’une traduction de moindre qualité (une traduction « discount ») mais également des demandes de traductions de qualité à des prix discount considérant la qualité comme une caractéristique d’un traducteur et pas forcément comme le résultat de plus d’attention. Comment revenir à une traduction de qualité dans des délais convenables pour tous ?
La question de la qualité pourrait également être mise en perspective avec les objectifs et les attentes du public (en d’autres termes, il s’agirait de segmenter la qualité en fonction du marché, de même que l’on peut choisir l’outil technologique le plus approprié selon le type de traduction qu’il faut fournir). On court souvent le risque de généraliser le public, alors qu’il y a des publics ayant des besoins différents et des compétences différentes.
Le changement des métiers de la langue sous l’impact des technologies numériques
Le développement des technologies numériques en général s’accompagne d’une dynamique globale qui va s’accélérant. Or cette accélération impacte fortement les métiers.
Voici quelques exemples :
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Le métier du transcripteur est en train de changer à cause de la diffusion des technologies de reconnaissance automatique de la parole (RAP), avec des répercussions économiques (baisse de la rémunération des transcripteurs), professionnelles (question des délais) et culturelles (question de la qualité) ;
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Le métier du traducteur est en train de changer grâce à cette même technologie (mais également à l’évolution des technologies de traduction automatique), qui permet au traducteur de travailler davantage dans la phase de révision (révision de textes traduits par le logiciel RAP) et d’accepter de plus grands volumes de travail dans les mêmes délais. Apparaît également la possibilité de se partager le travail entre plusieurs traducteurs. Est-ce que la qualité du travail livré à la fin du processus est affectée par ce changement ?
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Le travail du réviseur change également, avec la diffusion du travail en équipe et la prise en charge de textes qui n’appartiennent pas à son propre domaine de compétences ces changements interviennent surtout à cause de la baisse des rémunérations.
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L’interprétation de conférence doit prendre en compte la diffusion des technologies de visioconférence, qui rend les possibilités de mise en relation à distance très simples et efficaces. Toutefois, est-ce que la dynamique de groupe propre aux conférences caractérisées par la présence in situ de tous les participants se met en place également quand les participants communiquent à distance ?
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La RAP est devenue un outil efficace pour le sous-titrage de programmes pour sourds et malentendants, qu’il s’agisse de programmes en direct ou préenregistrés9.
De nouveaux métiers émergent aussi, grâce à la téléprésence : par exemple, il y a besoin de professionnels travaillant comme intermédiaires pour les bornes des aéroports qui aident à s’orienter les touristes parlant des langues différentes de la langue locale. De nouvelles formes de médiation/traduction vont apparaître pour faire face également aux besoins de la population sourde et malentendante. Ces métiers demandent un rapport nouveau à l’espace, à la langue, et à la communication.
Le multilinguisme
Deux approches de la diversité linguistique sont possibles : selon la première, la diversité des langues, étant considérée comme un obstacle à la communication, peut être aujourd’hui surmontée par les technologies. D’après la seconde approche, la diversité linguistique, étant considérée plutôt comme une richesse, peut être soutenue par les technologies. Selon cette approche, les technologies peuvent être envisagées comme des technologies de l’individualisation (versus technologies de la standardisation). En d’autres termes, les technologies peuvent être envisagées de manière à satisfaire les exigences de chacun, inversant ainsi la tendance à la standardisation selon laquelle ce sont les usagers qui doivent s’adapter aux technologies.
Dans les deux approches, les technologies ont un rôle de premier plan à jouer. Si on se place dans une optique européenne, toute réflexion sur les technologies de la langue ne peut se faire que dans le cadre conceptuel du multilinguisme. Dans ce domaine la politique de l’Union Européenne est en pleine évolution : en mettant en avant ses bénéfices et en soutenant pleinement une politique visant à favoriser l’apprentissage des langues au sein de l’Union, la Commission européenne a adopté dès 2003 le plan d’action « Promouvoir l’apprentissage des langues et la diversité linguistique »10, avec lequel elle s’était engagée à lancer 45 nouvelles actions à mener entre 2004 et 2006 articulées autour de trois axes clés :
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Etendre les avantages de l’apprentissage des langues à tous les citoyens et tout au long de leur vie ;
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Améliorer la qualité de l’enseignement des langues à tous les niveaux ;
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Aménager un environnement propice à l’épanouissement du multilinguisme.
Ensuite, en novembre 2005, la Commission a publié une communication intitulée « Un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme »11 qui présentait son approche pour développer le multilinguisme sur le marché unique et dans la société européenne dans son ensemble. Parmi les principales mesures y figuraient la promotion de l’apprentissage des langues, de la diversité linguistique et d’une économie multilingue saine, ainsi que l’amélioration de l’accès des citoyens à la législation, aux procédures et à l’information sur l’UE dans leur propre langue.
En septembre 2008, la Commission a réitéré son propos à travers la communication « Le multilinguisme : un atout pour l’Europe et un engagement commun »12. soulignant le rôle que les médias peuvent jouer dans la création d’une société multilingue.
La France y joue déjà un rôle de tout premier plan et elle ne peut que continuer de penser le rôle des technologies de la langue dans une perspective multilingue. De ce point de vue, les technologies numériques présentent un potentiel extraordinaire en termes d’accès à l’information et de communication.
En premier lieu, ces technologies permettent à tout internaute d’accéder à l’information publiée dans n’importe quelle langue, grâce aux outils de traduction automatique, d’un côté, et aux technologies de mise en correspondance des ressources terminologiques, de l’autre. Cette forme d’accessibilité améliorée permet, du point de vue des utilisateurs, d’accéder plus facilement et rapidement aux connaissances et du point de vue des fournisseurs de contenus, d’étendre le nombre de lecteurs/utilisateurs et d’en diversifier la provenance géographique, linguistique et culturelle.
En second lieu, le potentiel en termes de communication s’est avéré déjà très important, qu’il s’agisse des technologies appliquées à la téléphonie mobile (SMS) ou à la communication instantanée en ligne (chat, skype), qu’il s’agisse de mettre en communication des individus dans des lieux différents (vidéoconférences) ou de créer de véritables communautés virtuelles autour de centres d’intérêt (réseaux sociaux).
Mais surtout les technologies numériques ont permis l’apparition de référentiels multilingues dynamiques (ex : Wikipédia) et d’outils d’assistance dynamique à l’expression linguistique (saisie intuitive sur les claviers téléphoniques ou T9, traducteur automatique, base de données terminologiques multilingue de l’Union européenne IATE) qui témoignent de leur pertinence et importance par leur activité, leur expansion, et leur efficacité en devenir.
Atelier n. 2 – thème 1
Thèmes de la journée : 1. L’évolution de la langue française sous l’impact des technologies ; 2. Pratiques et usages du Web.
Lors de la discussion sur le thème « évolution de la langue française sous l’impact des technologies » de nombreux éléments se sont dégagés de manière hétérogène : un état des lieux, les défis à relever et des pistes de réflexion pour accompagner le processus évolutif de la langue française suite à l’introduction des nouvelles technologies dans la vie quotidienne de millions de Français.
Contexte
Comme toute autre langue, la langue française change selon les situations d’usage, au niveau de l’orthographe, du lexique, de la morphologie, et de la syntaxe. Les genres textuels s’adaptent également aux nouveaux contextes d’usage.
Dans un contexte où l’internet prend de plus en plus de place dans la vie des citoyens, on assiste notamment à la diffusion dans l’écriture de caractéristiques propres à l’oralité, avec un estompage progressif des différences entre langue écrite et langue parlée. Les repères traditionnelles de diachronie, diatopie et diastrasie s’en retrouvent bouleversées13.
L’interaction sociale via la Toile s’est également développée, grâce à la diffusion des réseaux sociaux. Les modes de communication se sont multipliés14, la multimodalité s’est imposée et la vitesse est devenue une valeur essentielle de la communication.
L’internet a également permis une plus grande distribution de la connaissance et a favorisé l’affaiblissement des lieux dévolus à la transmission du savoir, ce qui présente des risques mais également des opportunités de démocratisation du savoir.
Risques et opportunités
Risques
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risques de perte du patrimoine écrit15 ;
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risque d’aggravation de la perte de vitesse à l’international à cause
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d’investissements inadéquats dans la recherche en la matière
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de l’accès limité aux connaissances en langue française ou étrangère (la langue française en général et l’orthographe français en particulier rendent difficile l’accès à ces connaissances en offrant une compatibilité non optimisée avec les outils de référencement ou encore de traduction) ;
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risque d’aggravation de la fracture sociale, entre les citoyens maîtrisant plusieurs versions du français, adaptées aux différents contextes d’utilisation, et les citoyens ne maîtrisant qu’une seule variante du français ;
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risque d’évolution des pratiques ne correspondant pas à de véritables besoins à cause de l’introduction continue de « nouveautés informatiques » sur le marché ;
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risque de plagiat dû à un accès très facile à une énorme quantité de données, publiées sans aucun contrôle scientifique ;
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risque d’homologation de la forme et d’indifférence au contenu ;
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risque de baisse de performance en lecture et écriture16.
Opportunités
Les technologies de la langue, et plus précisément leur développement et leur usage, ne présentent pas que des risques quant à l’évolution de la langue française. En favorisant et en conditionnant son évolution par l’usage, elles offrent également des opportunités. Elles permettent :
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aux utilisateurs, de passer d’une situation de pratique de français à une autre, et de faire l’expérience de plusieurs pratiques de la langue ;
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aux utilisateurs, d’accéder à une connaissance distribuée, qui peut être enrichie par chacun en temps réel et qui peut être facilement partagée ;
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aux utilisateurs, de créer de plus en plus de réseaux professionnels ou d’intérêt, renforçant ainsi non seulement les rapports sociaux mais surtout la disponibilité de contenus dans la langue des différentes communautés ;
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aux amateurs et aux étudiants, de se faire une idée beaucoup plus précise des terminologies ;
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aux linguistes, de faciliter la création d’ontologies et de dictionnaires spécialisés ;
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aux enseignants, de varier l’enseignement des langues et de favoriser ainsi le programme EMILE ;
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aux enseignants de langues étrangères hors études linguistiques, de construire leurs programmes sur la base de matériau original approprié à la communication dans un secteur professionnel spécifique ;
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aux professionnels de la langue (traducteurs, interprètes, sous-titreurs, etc.) d’atteindre la précision formelle dans leur travaux quotidiens de préparation et de production du texte-cible ;
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aux pouvoirs publics d’avoir un levier d’action possible.
Actions possibles
A partir de considérations sur des pratiques non françaises (lois pour encadrer la pratique de l’email ; obligation de langue « pure » à la télévision comme dans le modèle anglais ou l’obligation légale de surveillance de la qualité de la langue dans le modèle français à la qualité de la langue selon 3-1 de la loi 30 septembre 198617 ; implication bénévole de « linguistes » en amateurs pour la définition de la terminologie informatique ; choix de ne jamais traduire certains termes anglais pour éviter les ambigüités ; etc.) plusieurs suggestions ont été proposées. Parmi ces propositions :
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inscrire dans la politique linguistique les traducteurs bénévoles pour qu’ils prennent conscience de l’importance de leur travail et pour qu’ils peaufinent leurs techniques de traduction ;
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favoriser la taxinomie de nouvelles versions du français ;
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distinguer les besoins des usages ;
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adapter l’offre informatique disponible sur le Web aux nouveaux supports de téléphonie mobile ;
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aujourd’hui la connaissance est distribuée de manière simplifiée, dans le but d’assurer un accès généralisé au plus grand nombre possible d’usagers. Cependant cette connaissance « simplifiée » aurait besoin d’être structurée pour qu’il y ait une véritable « innovation de masse » ;
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étendre les compétences de la commission en charge de la terminologie informatique en français (CSTIC) pour s’assurer que (a) les évolutions linguistiques dans le domaine de l’internet soient également prises en compte et que (b) il n’y ait pas de décalage entre les choix terminologiques effectués et la réalité des usages (la présence de non professionnels ou d’usagers pourrait être envisagée) ;
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promouvoir la prise de conscience de la part des citoyens des différentes variantes du français et en particulier des variantes existantes dans la communication qui passe par l’internet ;
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transformer les pôles de détention du savoir en lieux de « décélération » pour l’approfondissement et la formation continue. Le terme « décélération » a été utilisé par le professeur Daniel Blampain pour indiquer le processus inverse à celui de l’accélération, typique du monde du travail, dans lequel l’accès le plus rapide possible à la connaissance est privilégié. Un accès plus rapide à la connaissance entraîne des risques d’appauvrissement de la connaissance même : les lieux de détention de la connaissance par excellence, les universités, devraient plutôt proposer un processus d’approfondissement de la connaissance ;
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dans la logique de portail, construire des liens techniques et sémantiques entre tous les éléments d’information apparemment disséminés sur la Toile ;
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concevoir l’enseignement de la langue française sous l’angle de la variation, en insistant sur la pluralité de « versions » d’une même langue, chacune adaptée à son contexte d’utilisation ;
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faire exister la langue sous toutes ses variations tout en reconnaissant la norme comme une version parmi d’autres, à choisir selon les contextes d’usages ;
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encourager une distribution des tâches et des activités dans une entreprise selon la maîtrise des différentes versions de la langue.
Atelier n. 2 – thème 2
Lors du débat sur les pratiques et usages du Web de nombreux éléments de réflexion se sont dégagés.
Contexte
Alors que la consommation des médias traditionnels est en baisse constante, l’usage de l’internet se répand : sur la Toile tout un chacun peut choisir une ou plusieurs communautés d’appartenance, chacune ayant comme vecteur de rassemblement et d’échange un centre d’intérêt. Ces regroupements en communautés répondent notamment à des logiques sociales de reconnaissance mutuelle. Plus précisément, pour devenir membre d’une communauté, il ne suffit pas de partager le même centre d’intérêt que les autres membres, il faut aussi savoir en partager les codes. La façon de s’exprimer devient alors un enjeu d’intégration. La communauté vous reconnaît selon votre niveau de langue, votre maîtrise de certaines habitudes d’expression en usage, les valeurs sociales que votre expression laisse affleurer. Ce que le numérique et internet changent aux logiques sociales du XXe siècle, c’est qu’il est incontestablement plus facile et rapide désormais d’appartenir à plusieurs communautés potentiellement très différentes. Ce nouvel était de fait rend particulièrement cruciale la capacité linguistique et cognitive d’adapter son expression au contexte d’utilisation. L’apprentissage de cette capacité d’adaptation, de cette intelligence linguistique, est un moyen de contrer la « balkanisation » des groupes d’individus et de favoriser la rencontre de compétences diverses, de modes hétérogènes d’appropriation de la langue.
Dans ce contexte il est un type d’acteurs qui s’avèrent incontournables si l’on souhaite comprendre la relation que la langue en évolution entretient avec son usage par les membres des réseaux sociaux. Il s’agit des éditeurs de service qui offrent les environnements et les outils pour se constituer en communautés et échanger. A des degrés divers, les interfaces utilisateurs développées par les éditeurs de réseaux sociaux conditionnent l’usage du français en fonction des objectifs poursuivis. A ce sujet les approches les plus archétypales mais aussi les plus opposées sont celles de Skyblog et de Wikipédia. A l’approche « sociologique » et « top-down », qui prend en compte les différences générationnelles, ou la LEPJ (libre expression populaire des Jeunes) de Skyblog répond une autre approche plus novatrice, celle de Wikipédia et de DB Pedia (logiciel d’indexation sur et à partir de Wikipedia), qui suivent une logique « bottom-up » plus ou moins normée.
Enfin, en marge des éditeurs de réseaux sociaux, il existe une autre catégorie d’acteurs difficile à quantifier et à identifier, mais pourtant active et influente. Il s’agit des bénévoles qui traduisent gratuitement les interfaces des logiciels libres alors que les usagers contrôlent la qualité du travail. Des lobbyistes privés « pilotent » certains de ces traducteurs pour que leurs marques passent dans le langage courant à la place de noms de concepts. De manière moins souterraine ou moins cynique, certaines institutions comme le Louvre et des universités emploient des administrateurs en charge d’assurer leur visibilité sur les réseaux sociaux de premier plan comme Facebook.
Défis
Les défis dans le contexte des pratiques du Web sont plusieurs et hétérogènes :
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dépasser la difficulté du classement des usages et des contextes ;
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rattraper le retard en ce qui concerne des aspects importants du Web tels que le marketing par rapport aux usages et la recherche dans la reconnaissance de la parole ;
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intervenir sur la notion de « connaissance de la langue » qui peut poser des problèmes d’intégration, notamment avec les étrangers. En d’autres termes, en se concentrant sur la connaissance de la grammaire et de l’orthographe on risque d’exclure les allophones du processus de communication en particulier, et d’intégration sociale en général (à l’école avant tout). Le défi consiste à dépasser cette notion de connaissance de la langue au profit de la communication.
Actions possibles
Voici les suggestions proposées lors de l’atelier :
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ne plus imposer un mode de communication, mais gérer la convergence des modes de communication tout en rendant les usagers conscients de l’importance de la norme. En d’autres termes, pour relever le défi de la variation linguistique au niveau normatif, introduire tous les modes de communication dans les processus d’enseignement et plus en général de diffusion de la langue ;
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prendre en charge le multilinguisme du point de vue technique, en se coordonnant non seulement avec l’Afnor mais également avec l’IETF (internet Engineering Task Force) et le W3C (World Wide Web Consortium) ;
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créer un groupe de veille pour étudier les tendances, promouvoir certains termes de manière non officielle, et réglementer les questions de la traduction d’interface, dans un contexte d’échanges avec les traducteurs bénévoles (y compris les fandubbers, fansubbers, scanlators, etc.) ;
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promouvoir le dialogue avec les traducteurs bénévoles d’un côté et les industriels de l’autre, pour développer des réseaux de diffusion de la communication plus performants ;
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définir des domaines prioritaires pour lesquels l’État pourrait faire des alliances en défense d’une norme du français et la gestion d’une politique de diffusion rapide et souple de la culture et de la langue française (sous-titrage, traduction, diffusion du français informatique, apprentissage au sein du réseau, processus d’intégration sur les réseaux sociaux).
Atelier n. 3
Thème de la journée : « Impact des technologies sur les ressources terminologiques : enjeux culturels et économiques ».
Principaux éléments de réflexion
Lors de la discussion sur le thème « Impact des technologies sur les ressources terminologiques : enjeux culturels et économiques » de nombreux éléments de réflexion se sont dégagés de manière disparate. Ce qui suit organise et synthétise ces éléments selon qu’ils renvoient :
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au contexte des ressources terminologiques à l’ère du Web Sémantique multilingue et des politiques de valorisation sur des méta-portails ;
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aux défis qui se présentent dans un tel contexte pour les pouvoirs publics ;
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aux actions qu’il est possible d’entreprendre selon la stratégie suivie.
Contexte
Le thème de l’atelier s’inscrit dans trois tendances fortes. La première est technologique et concerne l’évolution du Web. Après avoir constaté l’émergence et la confirmation du Web Social, on parle désormais du Web Sémantique18 comme nouvel horizon de la Toile19. Utopie visant à rendre le sens des connaissances en ligne manipulables directement par des machines, le Web Sémantique est concrètement un ensemble de moyens technologiques adaptés aux contraintes actuelles du Web. Cette rencontre entre l’utopie du Web Sémantique d’un côté et les contraintes du Web de l’autre a donné lieu à la conception du Web des données ouvertes, plus communément appelé Linked Open Data (LOD)20. Cette nouvelle initiative donne sens à un certain nombre de normes, de recommandations et d’outils efficaces dont l’utilisation se démocratise de plus en plus. Pour penser l’impact des technologies sur les ressources terminologiques, il faut prendre en compte ce contexte technologique et s’intéresser à ses normes et ses outils (ex : formats d’échange, moteurs de recherche sémantique).
La deuxième tendance est linguistique. A l’heure de l’usage de masse d’internet dans un monde de plus en plus connecté à des connaissances en provenance d’une multitude de sources et exprimées en différentes langues, le multilinguisme n’est plus simplement un vœu pieux. L’exigence actuelle de circulation et d’accès des informations quelle que soit leur langue d’origine n’est pas un phénomène éphémère, et le multilinguisme des ressources terminologiques s’impose au contraire comme une condition nécessaire à cette amélioration de l’accès aux données sémantiques21. Cet élément doit être pris en considération ici comme une tendance complémentaire à celle du LOD.
Enfin la troisième tendance est politique. L’Union Européenne, face à l’initiative de numérisation et de mise à disposition en ligne de livres par Google, a lancé il y a quelques années une politique de mise en place de méta-portails22. Europeana23 est le fruit le plus connu de cette politique qui s’affermit au fil du temps bien que les moyens alloués restent limités. Cependant Europeana en tant qu’« institution » devient de plus en plus incontournable pour les détenteurs de patrimoines culturels numérisés, et son adaptation récente au LOD confirme qu’il ne s’agit pas d’un projet en perte de vitesse24. Dans la tendance des méta-portails de valorisation multilingue, les ressources terminologiques ont un rôle crucial à jouer et doivent s’y adapter. C’est pour cela que cette troisième tendance qui complète les deux premières est à garder à l’esprit également.
Défis
Dans ce cadre, le principal défi se présentant aux pouvoirs publics consiste à favoriser l’accès aux ressources francophones sur le Web. Comment aider les éditeurs de ressources francophones et les services de valorisation à améliorer la visibilité de ces ressources selon les tendances actuelles qui ont été présentées ci-dessus ? Plus précisément, ce défi principal peut être divisé en plusieurs déclinaisons :
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favoriser la conformation des ressources francophones aux normes du LOD pour que celles-ci soient bien traitées par les nouvelles « machines » du Web ;
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promouvoir les versions multilingues des ressources et bases de données nativement francophones pour que celles-ci soient accessibles selon différentes langues utilisées lors de la recherche d’information ;
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encourager la mise à disposition des ressources francophones sur les méta-portails d’accès, selon les normes qu’ils requièrent.
Actions possibles
Pour répondre à ces défis, différentes actions sont possibles :
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développer la présence des ressources francophones sur des référentiels du LOD comme DB Pedia ;
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faire évoluer le cadre juridique d’utilisation des résultats de recherche publique pour que les entreprises puissent développer des technologies innovantes dans le domaine (à l’exemple du fair-use du copyright américain)25 ;
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encourager le regroupement de structures publiques et privées du domaine selon des partenariats publics – privés pour faire émerger des synergies innovantes ;
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publier des guides de bonnes pratiques pour aider les éditeurs de ressources à se conformer aux normes du LOD et celles des méta-portails les plus importants ;
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(re)mettre en place des programmes-cadre de recherche dans le domaine pour aider les laboratoires et les entreprises françaises à s’impliquer plus dans le domaine.