II. La gestion des langues dans les grandes entreprises

Claire Extramiana

p. 9-12

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Claire Extramiana, « II. La gestion des langues dans les grandes entreprises », Langues et recherche, 07 | 2010, 9-12.

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Claire Extramiana, « II. La gestion des langues dans les grandes entreprises », Langues et recherche [En ligne], mis en ligne le 25 juillet 2022, consulté le 11 mai 2024. URL : https://www.languesetrecherche.fr/113

Comme en 2009, un certain nombre d’entreprises ont été invitées à présenter leurs choix en matière de gestion des langues dans la perspective de l’édition 2010 du Rapport au Parlement. Il s’agit d’une vingtaine de grandes entreprises françaises ou d’origine française, représentatives de différents secteurs d’activité de l’économie française et souvent en situation dominante à l’échelon mondial. Avec leurs caractéristiques propres du point de vue de leur insertion dans l’économie internationale, de leur implantation géographique, leur structure et mode de fonctionnement et de leurs métiers, elles ont en commun de faire partie du CAC 40 (système de cotation assistée en continu, principal indice boursier de la place de Paris).

Ces entreprises du CAC 40 sont, par ordre alphabétique : Accor (150 000 salariés dans 91 pays), Alcatel-Lucent (77 000 salariés dans 130 pays), Alstom (implanté dans 70 pays avec 76 000 salariés), Arcelor-Mittal (310 000 salariés dans 60 pays), Cap Gémini (90 000 salariés dans plus de 30 pays), Dexia (présent en Europe avec 36 000 salariés), EDF (169 000 salariés dans le monde), L’Oréal (64 000 salariés, présent dans 130 pays), PPR (63 000 collaborateurs), Renault (130 000 salariés dans le monde), Suez Environnement (près de 66 000 salariés dans le monde), Vinci (160 000 salariés dans le monde) et Vivendi (50 000 salariés dans le monde)1. Six entreprises sont des filiales du groupe Vinci, avec Vinci Construction grands projets (3 715 salariés), Eurovia (42 000 salariés en Europe, aux États-Unis et au Canada), Vinci Park (6 500 salariés), et du groupe PPR, avec Conforama (239 magasins en Europe dont 181 en France métropolitaine, 13 000 salariés), Gucci (609 magasins dans le monde, 12 000 collaborateurs) et Redcats (22 000 salariés, un chiffre d’affaires réalisé en France pour moitié ; en Europe hors de France et aux États-Unis). Toutes ont leur siège social en France, à l’exception de quatre d’entre elles qui ont leur siège au Luxembourg (Arcelor-Mittal), en Belgique (Dexia) aux Pays-Bas (EADS) et en Italie (Gucci).

Les questions relatives à la gestion des langues dans ces entreprises concernent la communication avec les clients, fournisseurs et partenaires en France et à l’étranger.

Pour ces grandes entreprises, dont le fonctionnement s’est internationalisé au cours des fusions, absorptions et acquisitions caractéristiques de l’économie globale, la question des langues appelle des choix entre la langue du pays d’implantation, la langue d’origine du groupe et l’anglais comme langue véhiculaire. Le choix de la langue du groupe ou langue de travail en est une des conséquences. S’agissant de leurs implantations françaises, ces groupes sont soumis aux dispositions de la loi relatives à l’emploi du français dans le monde du travail (loi du 4 aout 1994 relative à l’emploi de la langue française) et sont à ce titre tenus de garantir à leurs salariés l’emploi du français dans les relations de travail. C’est dans ce cadre que doit être posée la question de la cohabitation du français avec les langues étrangères, l’usage de l’anglais étant la règle, avec des positionnements qui permettent de distinguer trois ou quatre catégories d’entreprises.

1. L’usage combiné du français et de l’anglais

Une première catégorie d’entreprises déclare un usage combiné du français et de l’anglais dans leurs filiales françaises. C’est notamment le cas pour Accor, Alcatel-Lucent, Alstom, Cap Gémini, Dexia, EDF et Suez Environnement.

Le recours à l’anglais semble s’imposer en situation de communication internationale (réunions), dans les relations entre les filiales françaises et les filiales étrangères, pour des projets associant des équipes implantées dans le monde entier. La connaissance des langues étrangères est un critère d’embauche et d’évolution professionnelle chez Accor pour certains postes en contact avec la clientèle dans les hôtels et pour des postes fonctionnels ; l’anglais est un critère d’embauche chez Cap Gémini, Suez Environnement, plus particulièrement au niveau de l’encadrement intermédiaire et supérieur. Chez Alcatel-Lucent le niveau requis en anglais varie selon les responsabilités et constitue un atout pour l’évolution professionnelle ; la maitrise du français est recommandée pour les salariés étrangers. La langue en usage chez Arcelor-Mittal France est le français, mais la connaissance de l’anglais apparait comme indispensable pour évoluer à l’international.

On recourt à la traduction chez Accor pour les documents de travail, les réunions de travail, les outils informatiques, de même que dans les grandes réunions. Pour les autres groupes, le recours à la traduction reste limité ou occasionnel. On ne recourt pas à la traduction pour les réunions de travail au sein de Dexia ; au sein de Suez Environnement les réunions des dirigeants sont en anglais.

Des formations en anglais sont généralement mises en place pour les salariés, notamment en ligne. Pour le groupe Alcatel-Lucent, la formation à l’anglais accroit l’employabilité des salariés et améliore leurs perspectives d’évolution de carrière.

Le site intranet est tantôt en français et anglais, tantôt dans la langue du pays d’implantation.

Les bénéfices attendus des choix linguistiques sont une meilleure communication interne. Pour EDF, la maitrise des couts s’ajoute à l’amélioration des synergies et la prise en compte de la diversité culturelle. Alstom déclare avoir fait le choix de l’anglais comme langue de travail commune au groupe en raison de son organisation, car chacune des équipes françaises est impliquée dans des projets qui associent des équipes implantées dans le monde entier, la France représentant 20 % des effectifs mondiaux.

Le siège parisien de Vivendi (200 personnes), tête de pont de filiales employant 50 000 personnes dans le monde, travaille en français et en anglais. Il recourt à l’anglais pour certains services financiers et pour communiquer avec ses filiales nord-américaines ; l’anglais est la langue utilisée avec les sociétés étrangères, le site internet est en français‑anglais.

2. Le cas d’EADS, groupe multinational

EADS est un groupe multinational dont le siège légal est situé aux Pays-Bas et qui résulte de la fusion en 2000 de groupes nationaux de construction aéronautique et spatiale implantés en France (45 000 salariés), en Allemagne (44 000 salariés), en Espagne (10 000 salariés), puis ultérieurement au Royaume-Uni (13 000 salariés). Si les langues du groupe sont bien celles de ces pays, le groupe déclare avoir choisi l’anglais en invoquant la neutralité par rapport aux trois grands pays fondateurs et le fait que l’anglais soit la langue technique de l’aéronautique et du spatial depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’anglais est ainsi quasiment incontournable pour l’encadrement supérieur, mais aussi dans les domaines techniques. Les réunions de salariés ayant différentes langues maternelles se déroulent en principe en anglais. Pour la communication externe, l’anglais peut prendre le pas sur la langue locale en fonction du niveau d’échange avec le client, le fournisseur ou le partenaire. En France, les nécessités techniques et de service peuvent conduire à une utilisation plus fréquente de l’anglais. Les documents de travail internes sont, si nécessaires, en anglais, auquel cas ils ne sont pas traduits ; ils sont traduits lorsqu’ils revêtent un caractère officiel ou légal, ou qu’ils sont présentés à des instances représentatives des salariés. Les notes d’information aux salariés sont en principe rédigées dans les deux langues. Les réunions ayant un caractère légal (comité d’entreprise, comité européen) qui se tiennent partiellement ou en totalité dans une autre langue sont traduites ; les comités européens du groupe et de ses divisions bénéficient de la traduction simultanée dans les quatre langues des pays d’implantation, quel que soit le lieu de la réunion. Les outils informatiques peuvent être traduits, l’intranet et l’internet du groupe peuvent être utilisés dans l’une des quatre langues du groupe.

3. La langue française comme partie intégrante de l’image du groupe

Certaines entreprises françaises font de leur langue d’origine, le français, une marque emblématique, avec comme conséquence une politique de diversification linguistique. C’est le cas de l’Oréal et de Renault.

L’Oréal déclare privilégier le français sur le marché français et un bilinguisme français-anglais pour les échanges avec les entités internationales, l’espagnol étant également pratiqué pour l’Amérique latine. La communication interne destinée à l’ensemble des salariés, y compris la France (courriels, annonces du groupe, communication de la direction générale, sites internes) est disponible en français et en anglais. Les réunions de travail à caractère international se tenant en France sont en anglais, parfois en espagnol. Les outils informatiques sont bilingues français-anglais. Des glossaires pour les métiers clés sont disponibles au moins en anglais et dans d’autres langues. Le site intranet est bilingue français-anglais, d’autres langues étant présentes. Les réunions du comité d’entreprise européen se déroulent dans les deux langues.

Le français est la langue officielle de l’entreprise Renault, l’anglais étant devenu la langue de l’Alliance depuis la construction du partenariat avec Nissan en 1999. En pratique, la langue française est largement répandue dans le groupe. On peut néanmoins distinguer les entités situées en France (dont le siège social et le Technocentre) et celles situées à l’international. Au sein des premières, les salariés non francophones recrutés en France doivent impérativement obtenir un niveau de 750 points au test de français international (TFI). À l’étranger, seule la langue anglaise est aujourd’hui demandée comme langue étrangère à côté de la langue locale (score de 750 points au TOEIC – Test of English for International Communication – pour les cols blancs), le français étant un atout, mais non un critère de recrutement ou d’évolution professionnelle. Au demeurant, un très grand nombre de cadres dirigeants au sein des filiales commerciales et sites industriels en Europe et en Amérique du Sud sont francophones. Les zones Asie et Eurasie sont moins marquées par ce phénomène en raison notamment d’un développement plus récent des implantations dans ces régions. L’entreprise encourage la mobilité d’impatriés qui viennent travailler en France et qui suivent systématiquement des formations en langue française. Depuis plusieurs années, la pratique de l’anglais a tendance à progresser au sein du siège social et des ingénieries. Cela est dû principalement à deux raisons : la présence d’un membre non francophone au sein du comité exécutif, l’ensemble des réunions au niveau de la direction générale du groupe se faisant en anglais, et l’augmentation des échanges avec le partenaire Nissan (recherche de synergies et développement de technologies en commun) et maintenant avec Daimler.

Il existe de nombreuses formations aux langues : le budget approximatif pour Renault SAS est de 1,5 M euros (30 % du budget global des établissements). 2 500 personnes sont formées sur le périmètre Renault SAS (essentiellement en région parisienne) avec deux tiers des demandes pour l’anglais, le français totalisant la moitié des autres demandes, l’espagnol, l’allemand, le japonais venant ensuite.

La réunion annuelle plénière du comité de groupe Renault (ensemble des représentants du personnel Monde) se fait en français avec traduction simultanée. Les réunions rassemblant les représentants de plusieurs filiales étrangères se tiennent le plus souvent en langue anglaise lorsqu’il s’agit d’une instance régulière regroupant de nombreuses entités (comités de management des régions) en majorité de pays non francophones ; en revanche, lors de réunions ponctuelles avec un nombre moindre de filiales et des représentants parlant français, la langue française est très fréquemment utilisée.

L’entreprise a régulièrement recours à des traductions et utilise principalement sept langues reflétant ses implantations majeures : français, anglais, espagnol, portugais, allemand, italien, russe. Le recours à des traductions en langue locale existe pour tous les pays où le groupe est commercialement présent, a minima pour les manuels d’entretien des véhicules. Des ressources terminologiques multilingues sont également disponibles. Le portail intranet est en français et en anglais, il est systématiquement traduit dans les langues des pays d’implantation. En dehors du site internet Groupe / Corporate (Renault.com) qui est en français et en anglais, il existe autant de sites internet liés au produit et à la vente (Renault.fr, Renault.jp, etc.) et traduits en langue locale que de pays où sont commercialisés les produits Renault.

4. Des choix linguistiques différents à l’intérieur d’un même groupe

Au sein d’un même groupe les filiales peuvent avoir des pratiques linguistiques qui diffèrent, les groupes Vinci et PPR en fournissant des exemples. Cela tient, comme pour les entreprises déjà citées, à l’implantation géographique, aux secteurs d’activité et aux métiers, à la structure et à l’organisation de l’entreprise.

Vinci Construction grands projets, composante de Vinci Constructions au sein du groupe Vinci, intervient sur le marché mondial des grands ouvrages de génie civil et de bâtiment. Ses choix linguistiques sont liés à une volonté de s’affirmer comme un groupe d’origine française capable de s’adapter aux contextes locaux de culture et de langue : « en termes de communication, nous utilisons le français dès lors qu’il est compris, partagé et souhaité par nos partenaires, nous pratiquons l’anglais lorsque cette langue a été choisie pour être la langue de notre contrat et nous utilisons les langues locales lorsque nous travaillons avec des pays à faible degré d’ouverture sur le monde occidental ». La gestion des langues dans la communication interne de cette entreprise de 3 715 salariés privilégie le français avec une ouverture aux langues : base de données pour la rédaction de documents de travail en 7 langues, formations aux langues représentant 26 % du plan de formation en sont des exemples.

Réalisant plus de 90 % de son chiffre d’affaires en Europe (principalement en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Europe centrale), mais également présent aux États-Unis et au Canada, Eurovia est l’un des leaders mondiaux des travaux d’infrastructures de transport et d’aménagement urbain. Employant près de 42 000 collaborateurs et s’appuyant sur un réseau de près de 300 agences et filiales de travaux et près de 870 sites de production industrielle, cette entreprise déclare pratiquer le français, l’anglais et l’allemand au siège parisien, ces trois langues correspondant à son implantation européenne. Le français est naturellement utilisé dans son réseau français, la langue de chaque pays d’implantation étant employée localement par ailleurs. La connaissance des langues étrangères est un critère d’embauche pour les cadres. On recourt à la traduction pour les documents de travail, les réunions de travail, les outils informatiques, des ressources terminologiques multilingues sont parfois utilisées pour la rédaction de documents ; certaines de ces pratiques sont liées au dialogue social. Lorsque le groupe réunit différentes filiales, la langue de communication est l’anglais.

Vinci Park est leader européen du stationnement, présent également aux États-Unis et au Canada, et gère plus de 1 250 000 places en ouvrages (2 300 parcs) ou sur voirie, réparties dans 12 pays au travers de près de 2 000 contrats. La répartition des effectifs révèle la structure de l’entreprise et, par ricochet, des besoins en langues étrangères peu importants : cadres 6 %, employés, techniciens et agents de maitrise (ETAM) 62 %, ouvriers 32 %. La connaissance des langues étrangères n’est pas un critère d’embauche, l’usage de l’anglais en contexte international semble occasionnel et l’usage des langues locales est prépondérant dans les implantations. Les sites intranet et internet sont plurilingues. Vinci Holding enfin déclare utiliser pour sa communication avec les clients, les fournisseurs et partenaires en France et à l’étranger le français, l’anglais et l’allemand de manière systématique, l’espagnol parfois ; pour les pays du Maghreb, c’est le français et l’arabe. Les sites intranet et internet sont accessibles dans les trois langues du groupe (français, anglais et allemand).

Le groupe PPR, anciennement Pinault-Printemps-Redoute, réalise 57 % de son chiffre d’affaires hors de France. PPR communique en anglais dans ses échanges internationaux vers l’extérieur d’une part, en interne d’autre part, dans tous les domaines, lorsque les interlocuteurs ne sont pas de langue française. Selon les postes et les fonctions, la pratique de l’anglais est jugée nécessaire dès lors que le salarié est amené à être en contact avec des personnes étrangères.

Pour autant, Conforama, filiale de PPR, a pour principale langue de communication le français au sein du groupe en France et avec ses différentes filiales. Avec 236 magasins en Europe dont 180 en France métropolitaine, la connaissance des langues étrangères n’est pas un critère d’embauche et d’évolution professionnelle, même si la connaissance de l’anglais est un atout pour certains postes comme les chefs produits en étroit contact avec des fournisseurs étrangers (Chine, Vietnam, Pologne, Brésil, Inde, Indonésie, Pakistan). Le site internet marchand n’est pas plurilingue, chaque filiale pays gère son propre site dans sa langue.

L’entreprise Gucci, elle-même filiale du groupe PPR, a son siège en Italie ; dans ses implantations en France certains échanges oraux peuvent avoir lieu en italien, mais la majorité des échanges avec la maison mère sont en anglais et les documents de travail sont en anglais. En France, la communication avec la clientèle internationale de cette entreprise spécialisée dans la haute couture et le prêt-à-porter de luxe se fait le plus souvent dans la langue du client.

Spécialiste de la vente à distance, Redcats réalise son chiffre d’affaires avec 22 000 salariés en France pour moitié ; en Europe hors de France : 22,9 %, aux États-Unis : 25 %. Cette filiale du groupe PPR se caractérise par un usage combiné du français et de l’anglais pour la communication interne dans ses implantations françaises. L’anglais est utilisé dans la communication externe en France et à l’étranger pour les achats et les échanges transversaux pour la vente en ligne, les produits et le marketing.

1 Les chiffres sont récents et sont, le cas échéant, arrondis à 1 000.

1 Les chiffres sont récents et sont, le cas échéant, arrondis à 1 000.

Claire Extramiana

Chargée de mission auprès du délégué général pour la maîtrise de la langue et l’action éducative

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